« Quand la mémoire va chercher du bois mort, elle ramène le fagot qui lui plait » disait Birago Diop dans sa grande sagesse. La mémoire de Boubacar Boris Diop, Felwine Sarr et de Mbougar Sarr est partie chercher du bois mort et elle a apporté le fagot qui lui plait.
Cette volonté de choisir le fagot qui plait est la plus grande faiblesse intellectuelle de leur texte commun malgré l’immense qualité intellectuelle des auteurs. Mais pris individuellement, ils confirment ainsi Max Weber qui disait : « Les associations de savants dès qu’elles discutent de la paix et de guerre, sont des associations politiques non scientifiques » parce que « prenant une position politique, on cesse d’être savant » car on n’est plus dans la « neutralité axiologique » qui faut-il le rappeler doit être consubstantielle à la démarche de l’intellectuel ou du savant. Cette neutralité axiologique qui est le meilleur rempart contre le manichéisme.
Sur les questions humaines, les questions sociales, la nuance et le relativisme sont des principes fondamentaux. On ne le trouve nulle part dans le texte. Ce texte contrairement au « J’accuse » de Zola qui a été comme un « craquement d’une allumette dans une nuit noire » pour parler comme Mbougar, sera comme les traces d’un chameau dans une tempête de sable.
Un texte écrit rapidement pour être dans l’air du temps est par nature éphémère comme le buzz. C’est pourquoi le texte de Boris, Felwine et Mbougar est un texte éminemment politique pour ne pas dire fondamentalement partisan.
Tellement partisan que la mémoire choisit le fagot des conséquences (situation actuelle) et refoule le fagot des causes (un projet insurrectionnel).
Il est étonnant qu’on cherche à enfouir dans « la plus secrète mémoire des hommes » les appels permanents à l’insurrection de Sonko qui menace le Président de la République de mort, appelle les jeunes à aller le déloger au Palais sans oublier les menaces et les insultes contre les magistrats et les généraux. Celui qui « sème les graines de la discorde et de la violence », comme vous dites, est celui qui appelle au meurtre du Chef de l’Etat, demande aux jeunes d’aller le déloger, terrorise les magistrats et qui corrompt les jeunes et les adolescents en les fanatisant pour en faire des boucliers humains pour se soustraire à la justice dans des affaires strictement privées et qui traite son accusatrice de guenon atteinte d’AVC.
Et c’est ce Monsieur qui a « la violence et la peur comme méthode ». Vous faites un transfert purement freudien en écrivant « la première des compromissions consiste à ne pas nommer ce qui est, à l’esquiver, à l’euphémiser, à le diluer par des tours de passe-passe sémantiques ou tout bonnement à travestir la réalité ».
C’est exactement ce que vous faites quand votre mémoire choisit le fagot qui lui plait et esthétise la violence prônée ouvertement par Pastef au lieu de la condamner. Avec votre tribune, vous vouliez être dans le rôle de l’intellectuel tapageur comme Zola dans l’affaire Dreyfus.
Il y a, cependant, une grande différence éthique entre Zola et vous. Zola avait choisi le camp du plus faible et vous, celui du fort, du puissant qui a profité de la double fragilité psychologique et sociale d’une orpheline. Elle, aussi, fait partie des « populations déjà précaires et laissées à elles-mêmes aux prises avec les problèmes élémentaires du quotidien le plus rude » que vous décrivez.
Ce quotidien rude qui a dû l’amener à Sweet beauty, ce qui n’est pas le cas de son bourreau. C’est là où se trouve la grande différence éthique entre Zola et vous. Zola a été avocat d’une belle et grande cause. On ne saurait dire la même chose pour un homme politique accusé de viol dans un endroit sordide. Vous n’oseriez jamais défendre un tel homme aux Etats Unis ou en France. La situation actuelle exige que chacun prenne ses responsabilités, dites-vous.
L’Etat a pris les siennes pour que justice soit rendue en toute sérénité malgré les menaces et la terreur qui a fait désister certains juges. La justice, le seul service de l’Etat qui porte le nom d’une vertu, a tenu son rang en allant courageusement jusqu’au bout.
Comme j’ai commencé avec Birago, terminons avec lui. Il est étonnant que votre mémoire ait ignoré le fagot de l’indignation face aux saccages des universités qui est par essence le lieu de la pensée et de la tolérance. Nommons les choses, les fagots de la mémoire de l’Humanité nous rappellent qu’en 1258, quand les Monghols sont entrés à Bagdad, la capitale de l’empire musulman, ils ont fait deux choses : l’incendie de la bibliothèque et une montagne de cranes. Les nazis feront la même chose avec les bibliothèques en jetant les livres au feu. On a une idée du projet quand on commence par saccager des universités et bruler des bibliothèques.
Tout de même surprenant qu’un Goncourt, qu’un prix Neustadt ne s’en émeuvent pas. Comme je disais dans ma réponse aux 114, les intellectuels sont libres de faire la même erreur que Martin Heidegger face aux Nazis mais l’Etat du Sénégal n’a pas le droit de faire la même erreur que la République de Weimar pour la bonne et simple raison quand un intellectuel se trompe c’est juste une hypothèse qui n’a pas fonctionné mais pour un Etat, c’est une catastrophe incommensurable comme l’arrivée des nazis au pouvoir. On connait la suite.
Dr Yoro DIA
Politologue
Avec DakarMedias.com