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Justice et État de droit : Entre rigueur des principes et Exposition à la vindicte populaire


Rédigé le Mercredi 23 Avril 2025 à 16:21 | Lu 138


Dans une tribune percutante, Me Habib Vitin, avocat et président du mouvement Thiès d’Abord, alerte sur les dérives qui menacent l’impartialité de la justice au Sénégal. À l’heure où l’opinion publique et les réseaux sociaux influencent le cours des affaires judiciaires, il rappelle avec fermeté les piliers fondamentaux de l’État de droit : présomption d’innocence, célérité des procédures, devoir de réserve des magistrats. Une prise de position lucide pour défendre une justice sereine, équitable et à l’abri des pressions politiques ou médiatiques.



 
Dans une démocratie moderne, la justice est un pilier fondamental de l’État de droit. Elle incarne à la fois l’autorité et l’impartialité, la rigueur et la sérénité. Pourtant, à l’ère des réseaux sociaux, des chaînes d'information continue, des plateaux télévisés où se croisent experts improvisés et commentateurs partisans, la justice n’est plus enfermée dans ses palais. Elle est scrutée, commentée, contestée, voire convoquée sur la place publique avant même que les juges ne statuent.
 
Elle est constamment mise à l’épreuve, tiraillée entre la pression de l’opinion publique, les exigences de célérité, la rigueur des procédures, et le comportement attendu des acteurs judiciaires.
 
Plusieurs principes fondamentaux doivent alors être rappelés et défendus avec force.
 
La justice ne peut être parfaite, mais elle se doit d’être équitable, rapide, discrète et rationnelle. Cela suppose le respect de principes fondamentaux : nul ne doit être puni sans preuve, les procès doivent être rapides et équitables, les magistrats doivent garder leur hauteur, et la vindicte populaire doit être contenue.
 
1 - Nul ne peut être puni sans preuve du délit : le principe fondamental de la présomption d’innocence
 
Le socle de toute justice civilisée repose sur la présomption d’innocence, énoncée à l'article 11 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 : "Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées."
 
Cela signifie que la charge de la preuve incombe à l'accusation, et que toute personne poursuivie doit être traitée comme innocente tant que le contraire n’a pas été démontré.
 
Ce principe n’est pas seulement une posture morale, il est une exigence juridique absolue : aucune peine ne peut être infligée sans preuve du délit. C’est le juge, et lui seul, après un procès équitable, qui peut déterminer la culpabilité sur la base de preuves établies selon des règles strictes. Le droit pénal, en tant que droit répressif, se doit d’être d’une rigueur chirurgicale car il touche à la liberté, à l’honneur et parfois même à la vie de l’individu.
Un adage classique le résume avec force : Mieux vaut un coupable en liberté qu’un innocent en prison.”
 
Mais, dans de nombreux dossiers judiciaires au Sénégal, notamment ceux impliquant des leaders politiques, ce principe est souvent sacrifié sur l'autel de la stratégie politicienne.
 
2 - La garantie de la rapidité des procès : une justice tardive est une justice niée
 
La lenteur judiciaire est un mal chronique au Sénégal. Mais, une justice qui se veut équitable ne peut être éternellement lente. La garantie de la célérité des procédures est une autre exigence fondamentale. Les longues détentions provisoires, les procès qui s’étirent pendant des années, et les lenteurs administratives minent la crédibilité de la justice.
Un justiciable qui attend dix ans pour être blanchi, c’est une personne qui a souffert inutilement. De même, une victime qui attend toute sa vie que justice lui soit rendue, c’est une douleur renouvelée à chaque jour d’inaction.
 
Comme l’écrivait Montesquieu : Une injustice faite à un seul est une menace faite à tous.”
 
Mais, l'on constate curieusement que certains dossiers politiques connaissent une célérité exceptionnelle, tandis que d'autres traînent encore. Ce traitement différencié alimente le soupçon d’un agenda politique caché derrière les procédures.
La rapidité des procès est une exigence juridique. Mais accélérer certains procès pour en ralentir d'autres devient une forme d’arbitraire déguisée. Une justice à géométrie variable est toujours une injustice.
 
3 - Le devoir de réserve des magistrats : pour une justice sobre, impartiale et silencieuse
 
Au Sénégal, l’instrumentalisation supposée de la justice à des fins politiques est devenue un refrain constant. Beaucoup de citoyens, à tort ou à raison, perçoivent la justice comme une arme entre les mains de l’exécutif.
 
Face à l’intensité des pressions politiques et médiatiques, les magistrats doivent se rappeler qu’ils sont les gardiens du temple républicain. Leur devoir de réserve n’est pas une suggestion morale, mais un rempart contre la perte de légitimité.
 
La justice ne doit céder ni à la pression politique, ni à celle de la rue.
 
Les magistrats, par leur fonction, incarnent l’État. Ils doivent juger, non pas selon leurs passions, mais selon la loi et leur conscience. Pour garantir cette hauteur, le devoir de réserve s’impose à eux : ils ne doivent pas commenter publiquement les affaires en cours, exprimer des opinions politiques ou se mêler des polémiques médiatiques.
 
Ce devoir n’est pas une atteinte à leur liberté d’expression, mais une condition de crédibilité de la justice. Lorsque le juge parle trop, il abaisse sa majesté. Il devient acteur du débat social, alors qu’il doit rester l’arbitre impartial. Le silence du magistrat est parfois plus éloquent que toutes les plaidoiries.
 
Des fuites dans la presse, des décisions judiciaires justifiées par des communiqués, des attitudes perçues comme partisanes, tout cela affaiblit l’image de l’institution.
Comme le disait un ancien bâtonnier français Henri Leclerc : Un bon juge, c’est celui dont on ne parle pas.”
 
Cependant, le magistrat du parquet, représentant du ministère public, a une fonction particulière. Il peut être amené à s’exprimer publiquement, notamment pour :
  • Informer le public d’une action judiciaire (dans le respect du secret de l’instruction),
  • Démentir une rumeur grave ou un trouble à l’ordre public,
  • Rassurer sur le sérieux et la rigueur de l’enquête.
 
Cette pratique est reconnue dans plusieurs systèmes juridiques. Au Sénégal, la loi numéro 2016-30 du 08 novembre 2016 insère à l’article 11 de la loi numéro 65-61 du 21 juillet 1965 portant Code de procédure Pénal un alinéa 3 ainsi libellé : «Toutefois, pour prévenir la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l'ordre public, le procureur de la République peut, en relation avec sa hiérarchie, rendre publics, par un point de presse, des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des indices ou charges retenues contre les personnes mises en cause».
 
En France, la circulaire du 19 septembre 2011 encadre cette communication, insistant sur la sobriété, la pédagogie et le respect de la présomption d’innocence.
 
Toute prise de parole publique engage la responsabilité de l’institution judiciaire :
 
  • Des noms ont-ils été cités ? Cela pose la question de la présomption d’innocence.
  • Le ton était-il neutre ? Un langage trop accusatoire peut créer un biais médiatique.
  • Le moment était-il opportun ? Avant une audition ? Avant la mise en examen ?
 
4 - Le danger de la justice populaire : entre émotion et précipitation
 
Dans le tumulte des grands procès politiques, l’opinion publique sénégalaise se meut en tribunal. Chacun y va de son verdict sur les réseaux sociaux, dans les plateaux télé, dans les rues. Cela s’est vu avec les émeutes de mars 2021, juin 2023 ou encore février 2024, où des affrontements ont opposé manifestants et forces de l’ordre, sur fond de décisions judiciaires contestées.
 
La justice populaire, aussi compréhensible soit-elle dans une démocratie vivante, devient dangereuse quand elle prend la place de la justice institutionnelle. Elle est souvent guidée par l’émotion, l’indignation et parfois la vengeance. Elle favorise le lynchage, la rumeur, la passion, au détriment de la loi et de la stabilité sociale.
 
Les réseaux sociaux deviennent alors le terrain d'une justice expéditive, où le like remplace la preuve, et où l’indignation tient lieu de jugement.
 
Elle n’a ni la rigueur de la preuve, ni le souci de l’équité. Elle peut détruire des vies sur un soupçon, salir des réputations sur une rumeur, ou disculper un coupable parce qu’il est populaire.
 
Confier la justice au peuple, ce n’est pas la démocratiser, c’est lui ôter ses fondements rationnels. C’est substituer le lynchage au procès, l’opinion à la vérité.
 
Pour conclure, nul ne saurait cautionner l’impunité des infractions économiques. Dans une République digne de ce nom, la reddition des comptes est un impératif de bonne gouvernance et de justice sociale. Il n’est pas question de fermer les yeux sur des actes de détournement, de corruption ou d’enrichissement illicite, qui appauvrissent les citoyens et sapent la probité dans les institutions.
 
Mais, ce combat légitime contre l’impunité ne saurait justifier une instrumentalisation de la justice, ni une dérive vers la justice spectacle, où les conférences de presse remplacent les audiences, et où le procès médiatique précède le procès judiciaire.
Il est dangereux, pour un pays, de céder à la tentation de la justice populaire, celle qui juge dans la rue ou sur les réseaux sociaux, sans respect des droits de la défense ni du principe de présomption d’innocence.
Le devoir de réserve des magistrats, le secret de l’enquête, le droit à la dignité des personnes mises en cause ne sont pas des privilèges de puissants : ce sont les piliers de l’État de droit.
 
La sacralité de la justice confère à l’institution juridictionnelle son indépendance, son impartialité et toute sa sérénité. Elle ne doit céder ni aux pressions politiques, ni aux émotions populaires. Car, quand la justice devient un outil de communication ou de règlement de comptes, elle cesse d’être la gardienne des libertés et devient une menace pour tous.
 
Oui, à la lutte contre la délinquance économique. Oui, à la transparence. Mais, non à la précipitation, à la stigmatisation et à la mise en accusation publique sans procès. Car, dans un État de droit, on n’accuse pas pour faire plaisir, on juge pour établir la vérité.
 
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Maître Habib VITIN
Président du Mouvement « Thiès d’Abord »
 
 



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